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patchworkman's blog
1 février 2009

TERRA OBSCURA

Comics

TERRA OBSCURA

par Alan Moore, Peter Hogan & Yanick Paquette

(Panini - coll "100% ABC" - Décembre 2008)

couv_001

Ceux qui ont lu le tome 3 de "Tom Strong", publié dans la même collection "100% ABC", connaissent déjà la "Terra Obscura", cette planète jumelle de la Terre que notre héros découvrit à l'autre bout de la Voie Lactée dans les #11 et 12 de sa propre série. Par la même occasion, il y fit la connaissance de son propre avatar alternatif Tom Strange, ainsi que d'une multitude de "héros de la science" (c'est ainsi que l'on nomme les super-héros dans le monde des comics ABC) organisés en une sorte de JLA locale à la sauce Moore: le "SMASH" ("Société des Meilleurs Américains Super-Héros"). Effectivement, il eût été dommage de ne pas exploiter plus avant le potentiel évident de certains de ces personnages hauts en couleurs, et la "Terra Obscura" ne tarda pas à faire l'objet, entre 2003 et 2005, de deux mini-séries spin-off de six épisodes, dont voici la première en publication française. Tout à fait dans la continuité de "Tom Strong", ce comics possède le même charme désuet et nostalgique que la série-mère, tout en rappelant par certains aspects d'autres titres à personnages multiples comme le génial "Top Ten", avec lequel elle partage le côté gentiment délirant et iconoclaste, ou encore le monument "The Watchmen", qui explorait la même thématique du "super-héros vieillissant". Encore que l'on ait ici affaire à une variation: si les héros du SMASH ont en commun avec les Watchmen d'être quelque peu rouillés, voire déchus, et de reprendre leur activité après trente ans passés en "animation suspendue" (comme le savent les lecteurs de Tom Strong), ils ont conservé en revanche la fougue de la jeunesse et, s'ils connaissent des doutes quant à leur réadaptation à un monde qui a changé durant leur absence, ils échappent en revanche à la corruption, tant physique que psychologique, qui apportait aux "Watchmen" toute leur dimension tragique. Mais, à y bien regarder, ce statut ambigu de "super-héros décalé" - que l'on pourrait désigner sous le concept de "syndrome de Captain America" - permet à Moore de réaliser son cocktail favori, à savoir faire vivre des aventures "modernes", développées selon un style de narration très personnel et pour le moins avant-gardiste, à des héros dûment estampillés "Golden Age", et porteurs d'une nostalgie d'écorché vif. Comme d'habitude, tout se passe comme si Moore avait dynamité le comics tout en regrettant, dans un même mouvement inverse et paradoxal, que le genre ait perdu sa fraîcheur et sa naïveté initiales en gagnant sa maturité artistique. D'où une sorte de mise en abyme perpétuelle avec des personnages qui, à la moindre occasion, s'évadent de leurs cases pour prendre de la distance et survoler leurs propres aventures tout en les commentant de manière à la fois ironique et métaphysique: on songe notamment à "Supreme", à cet épisode de "Tom Strong" (#19) où celui-ci se retrouve prisonnier des pages d'un comics, à la redéfinition de "Swamp Thing" lors de laquelle le héros découvre qu'il n'était pas celui qu'il croyait être, et enfin à "Promethea", série dans laquelle ce concept de "méta-comics" est porté jusqu'à ses plus extrêmes limites. Dans "Terra Obscura", on ne compte plus les personnages au statut ainsi incertain, naviguant entre les dimensions dans un univers dont les frontières sont poreuses, et qui semblent avoir transcendé leur condition comme pour mieux se contempler, et contempler le monde depuis un "ailleurs" quel qu'il soit. Tout se passe comme si le signifiant se mêlait soudain au signifié, la textualité du récit devenant elle-même un élément dramatique permettant aux personnages d'interagir avec les outils même de la narration pour influer sur leur propre devenir. On citera ce personnage extraordinaire qu'est La Terreur, qui se survit au travers d'un programme informatique, mais tout aussi bien le Fantôme Vert, sorte de Docteur Strange au look de Phantom Stranger ectoplasmique (car le jeu incessant des références sert également à réduire les figures du comics à quelques signes archétypaux), ou encore Fighting Yank, qui puise ses pouvoirs dans l'esprit de ses ancêtres, lesquels contemplent l'ici-bas depuis leur dimension de fantômes, comme autant de satellites prompts à délivrer de l'information afin d'interpréter le réel et d'en démêler l'écheveau symbolique. Pareil à ses héros, Moore prend un appui solide sur le terrain du comics, et se sert de ses codes pour mieux les transcender, comme si ses oeuvres nous amenaient au coeur même du processus narratif et de la textualité ou, si vous préférez, comme si les combats de ses personnages se réduisaient soudain à des affrontements de concepts. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Moore a très tôt rompu avec un certain spectacularisme du comics, et ce n'est certes pas chez lui qu'il faudra chercher les interminables bastons sur les toits des buildings qui ont fait la gloire de Marvel! Par le fait, il se pourrait bien qu'à l'instar de ses héros, il se soit définitivement immergé - et nous avec! - dans la forêt des symboles chère à Promethea...

_quipe

Des super-héros rétros comme s'il en pleuvait...

De gauche à droite: Mlle Masque, Aigle Solitaire, Tom Strange,

le Fantôme Vert, le Scarabée, Fighting Yank  et le Libérateur

smash

Réunion au sommet du SMASH:

De gauche à droite:

le Libérateur, le Croisé Américain, Tim, Pyroman et la Fille en Rouge

terreur

La Terreur (et son assistant Tim):

indubitablement le personnage le plus fascinant de la série

moissonneur

La fin spectaculaire du Moissonneur, exécuté par la Terreur...

maison

D'étranges dimensions où il ne fait pas bon faire du porte-à-porte!

dr_x

Le Docteur X, très charismatique vilain qu'on ne tardera pas à revoir...

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Commentaires
S
merci pour la ref de Mircea Eliade, le battage autour de 'Benjamin Button' me gave un peu et je me rappellais ce film de Coppola datant de 2007 que j'ai raté mais qui a l'air bien plus intéressant.
S
merci pour ce récapitulé, vraiment.<br /> je t'avouerais que ça m'aide un petit peu à remettre de l'ordre dans mes rayonnages, la différence entre le mythe et son contenu ou la narration n'est qu'un prétexte au vu du contenu à transmettre, c'est exactement le genre de bonnes surprises sur lesquelles on tombe à force de lire des comics ( ou des livres, c'est je crois dans le ' Skinny legs and all' de Tom Robbins que je suis tombé sur le mythe de Gaia par exemple ), la démarche de Moore sur 'Swamp Thing ' est exemplaire de cet angle, et assez démonstratif de ce que les comics m'ont toujours apportés : des nouveaux auteurs, une vision nouvelle de certains aspects de la vie, etc...<br /> En ce qui concerne le lien entre Lucifer et Prométhée ( et Frankenstein ) tu prêches un convaincu, mes ' recherches' m'ont menées là et tu n'es pas le seul à avoir fait ce parallèle.<br /> Pour ma part j'ai d'abord été surpris par le traitement du Diable dans la série de 'The Sandman', notamment dans le superbe 'The kindly ones' dessiné par Hempel et Kristiansen -entre autres. Ensuite c'est de savoir que Lucifer est le héros du 'Paradis perdu ' de Milton qui m'a occupé les synapsesun certain temps,Satan héros d'un roman, c'est le monde qui s'ouvre sous mes pieds, jusqu'à ce que je comprenne qu'il est employé comme figure romantique par excellence, au même titre que le monstre de Frankenstein et de Shelley dans son roman éponyme .De fait je comprends un peu mieux l'etiquette transgressive accolée à la femme , responsable de la chute mais au final, aussi maléfique que 'le mieux est l'ennemi du bien', puisque ce que tu qualifies à juste titre d'apologie de l'obscurantisme n'est pas une vaine comparaison, ce qui ont cru vénérer Dieu en aidant l'Eglise se sont , et ont certainement étés beaucoup trompés.<br /> Mais bon je me souviens également d'une alternative encore plus glaçante, celle émise par Ernesto Sabbato dans ' L'ange des ténèbres' - dernier volet de son tryptique , commencé avec ' Le tunnel' et suivi de 'Alejandra' ou 'Héros et tombes' , ça dépend des éditions- celle que la bataille entre le Ciel et les Enfers s'est bel et bien terminée mais que Dieu a perdu, qu'il est enchaîné en Enfer et que c'est le Diable qui règne à sa place et en son nom.<br /> Quoi qu'il en soit Lucifer fût comme tu le sais peut-être le héros de son propre titre chez Vertigo , mais j'ai pas lu, et je ne serais pas surpris de voir Prométhée débouler chez Marvel bientôt puisque 'Hercule' a sa propre série depuis quelques temps, et que le scénariste, Fred Van Lente, confronte le passé mythologique du héros à son présent marvelien, utilisant au passage une galerie de personnages jusque là inutilisés et mis en scène ici , avec brio justement.
P
Bon, je commence par répondre à ta question: s'il est vrai que le costume de Promethea est un clin d'oeil évident à celui de Wonder Woman, en fait l'héroïne de Moore est bien différente de Miss Diana. D'abord, en fait, il n'y a pas UNE Promethea, mais une bonne demi-douzaine, puisque Promethea est un mythe qui va s'incarner à diverses époques et que, selon la nature même du mythe (et là, je te renvoie aux écrits de Mircea Eliade), il va évoluer et connaître diverses réécritures selon les civilisations, religions ou philosophies, l'important n'étant pas son "enrobage narratif", mais le fond souvent symbolique qu'il met en jeu et qu'il est crucial de transmettre aux générations futures à une époque où l'écriture n'existe pas. En fait, il se pourrait bien que la narration dans le mythe ne soit en fait qu'un procédé mnémotechnique, soit: le véhicule d'une vérité centrale et essentielle qu'il importe de ne pas égarer. Ainsi, pour en revenir aux diverses Promethea et aux multiples déclinaisons narratives d'un même mythe, je vais prendre un exemple privilégié: le Lucifer judéo-chrétien m'a toujours semblé un avatar du mythe grec de Prométhée (justement!) en ce que Lucifer" signifie littéralement "porteur de lumière", et Prométhée étant pareillement châtié pour avoir "dérobé le feu du ciel". La "vérité à transmettre" de ces deux mythes qui n'en sont qu'un et qu'il importe de ne pas oublier, c'est que la connaissance est l'apanage des dieux, et que nous autres mortels serions bien avisés de ne pas nous mêler des affaires divines. En fait, une véritable apologie de l'obscurantisme - morale typiquement religieuse que l'on retrouve dans le "Frankenstein" de Mary Shelley, véritable mythe de la littérature fantastique dans laquelle le héros se prend pour Dieu dans son simulacre de l'acte de création, et qui est fort pertinemment sous-titré "Le Prométhée moderne". Par le fait, les religions et les scientifiques ont toujours été des adversaires éternels! On retrouve d'ailleurs le même thème de la connaissance en tant que prérogative divine dans le mythe d'Adam et Eve (le fruit défendu de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal), qui trouve évidemment sa source dans le mythe grec de Pandore - tu noteras que dans les deux cas, c'est une femme qui fout le bordel et qui est responsable de la chute! Voilà donc quel est le concept central du "Promethea" de Moore, dans lequel les divers avatars super-héroïques de la dame en question constituent autant de messagers entre notre monde et celui des symboles - mais qui est également celui de la création artistique humaine en tant que développement esthétique de quelques mythes essentiels. Et le monde du comics n'est pas en reste, qui tourne autour du mythe super-héroïque (le surhomme "herculéen"), d'où peut-être la fascination de Moore pour le superhéros du "Golden Age" (l'Âge d'Or renvoie fatalement au "Paradis perdu"). A titre d'exemple, on trouve même une incarnation de Promethea dans une petite fille héroïne d'un comics imaginaire qui ressemble comme deux gouttes d'eau à "Little Nemo in Slumberland", mythe fondateur du comics... Mais bon, j'en dirai un peu plus un ces quatre sur "Promethea" (ça fait à peu près un an que je bosse sur une chronique, mais je n'en suis pas encore satisfait...) et, en attendant, je te recommande chaudement cette série (6 volumes parus - 3 chez SEMIC, 3 chez Panini) qui, bien qu'occultée par les chef-d'oeuvres mooriens des années 80, est peut-être le comics-pivot de l'oeuvre du grand homme, en tous cas celui dans lequel il livre les clefs de son propre processus narratif (le mythe Alan Moore?).<br /> <br /> Ceci pour dire qu'en matière de méta-textualité, l'oeuvre de Moore explore tout de même un domaine bien particulier, et assez différent de tout ce qui a pu être fait en littérature (je pense notamment à Pirandello), ou même dans le comics, comme par exemple lorsque les "Next Men" (encore eux!) débarquent foutre le bordel chez l'éditeur de leur comics, ou lorsque la Chose râle après l'image qu'on donne de lui dans le comics Marvel des "Fantastic Four". Il me semble que Moore pousse quand même les choses un peu (beaucoup) plus loin en implicant le signifiant, traditionnellement externe à la dramaturgie de l'histoire, en tant qu'élément déterminant de cette même dramaturgie. Je reprendrais pour exemple le #19 de "Tom Strong", dans lequel notre héros se sert des didascalies (vignettes narratives) pour s'orienter dans le comics duquel il est prisonnier - le code narratif devient élément dramatique - ou encore cet épisode où Supreme est pris dans la tourmente d'une redéfinition de son propre comics, dans une superbe parodie de "Crisis On Infinite Earths"!<br /> Pour ce qui est du renouvellement, il me semble que Moore, comme tous les grands auteurs, est l'homme d'une obsession, dont il explore inlassablement toutes les variations possibles et que, pour schématiser grossièrement, cette obsession a quelque chose à voir avec le mythe superhéroïque. Chacun de ses personnages renvoie par un système de références souvent parodiques à un super-héros archétypal, lui-même expression moderne d'un héros plus archaïque... Mais au centre de ce jeu de références, on trouve le fondement d'un mythe universel et des symboles qui remontent peut-être à l'Âge de Pierre... C'est sur cette base-là que Moore construit son délire narratif... Et c'est tout l'enjeu de Promethea...
S
salut,<br /> bon je suis passé à côté des personnages d'Alan Moore depuis trop longtemps, je vais m'y coller...<br /> de loin on peut déjà fantasmer : Prométhéa est-elle ce qu'aurait été la série ' Wonder Woman' entre les mains de Moore ?<br /> Après, tout ce que tu dis correspond à ce que j'ai déjà entendu, mais je vais chercher dans tes articles précédents.<br /> Peut-être qu'en temps et en heure j'aurais été déçu, on attendait du nouveau, Moore de retour sur le comics et il ne nous fait 'que' du renouvellement du mythe, au lieu d'aller de l'avant.<br /> Je suis pas spécialement emballé par les dérapages d'intertextualité, en fait je ne trouve pas ça si novateur, ça me fait penser à du Diderot appliqué avec le procédé de 'Jacques le fataliste', mais sur le fond, ça l'est totalement et on ne peut plus intéressant de voir ce procédé appliqué au comics- mais il faudrait parler du 'rapport à la fiction' - et donc je ne peux que m'incliner.<br /> Ceci dit c'est Grant Morrison qui s'est imposé le premier avec ce genre de méta-discours sur son run d' ' Animal Man', assez déstabilisant, ou le personnage rencontre son auteur, et il s'est reservé le côté plus expérimental pour 'Doom Patrol' ( à l'image de la case que tu montres avec les portes dans le vide ), donc de loin , c'est un peu décevant de voir Moore revenir sur des choses qu'il a contribué à générer, c'est peut-être ça qui déçoit le plus mes attentes.<br /> Je suis quand même assez impatient de découvrir tout ça.<br /> <br /> Autre scoop, alors que DC vient de relancer la ligne Milestone ( un univers desuper-héros blacks en parallèle du DC Verse -avant l'election d'Obama je préçise ) qu'ils vont intégrer complètement à celui-ci, ils ont enfin acquis les droits du catalogue de Archie Comics, à savoir les personnages que Moore avait originalement souhaités pour 'Watchmen', et qu'ils vont également raccrocher au reste. Si Moore avait pu disposer de ce catalogue, il n'aurait peut-être pas créé des archétypes aussi forts et 'Watchmen' n'aurait pas été 'Watchmen'. Etonnant , non ?<br /> <br /> <br /> bon ok je sors...
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