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patchworkman's blog
11 juin 2007

MACBETH

Vu à la télé

MACBETH

d' Orson Welles (1948)

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Voilà l'un des films les plus étranges de l'un des plus grands génies du 7ème Art. Une fois de plus, le visionnaire tricard qu'est Welles travaille dans une urgence fiévreuse et avec un budget dérisoire. Après s'être fait claquer la porte au nez un nombre incalculable de fois, le grand homme persécuté finit par trouver un financement famélique (moins de 200 000 $) pour son "Macbeth" chez "Republic Pictures", une petite firme spécialisée dans le western de série B. Coutumier du système D par la force des choses et ayant déjà en tête tout le détail de sa future réalisation, Welles n'en parvient pas moins à mettre en boîte 1h47 de film en trois semaines de tournage, le tout entre deux représentations de sa troupe sur les planches. Métrage que "Republic Pictures", dont la préoccupation majeure est le rentabilité à peu de frais, aura tôt fait de ramener à la durée plus standard de 1h26. Il ne faut donc pas s'étonner que l'action de ce "Macbeth" paraisse quelque peu décousue par moments, que les puristes shakespeariens ne retrouvent pas l'intégralité du texte (loin s'en faut, Welles l'ayant déjà lui-même considérablement élagué pour parvenir à ce qu'il définissait comme "une esquisse") et qu'enfin la critique de l'époque ait durement stigmatisé l'interprétation du casting cent pour cent écossais rassemblé dans un souci d'authenticité (1): à la décharge de Welles, le temps de tournage imparti ne permettait en effet guère de répéter ni de multiplier les prises.

Pourtant, tant de handicaps cumulés ne parviendront pas à entamer une rage peu commune de filmer et d'expérimenter: transcendant un manque de moyens évident et des conditions de tournage qui en auraient découragé plus d'un, Welles nous livre un film maudit fascinant, étrange et profondément empreint de son imposante personnalité. Prenant le contrepied d'un Cecil B. DeMille, il contourne le manque de moyens par l'épure. Or, quoi de plus épuré que le théâtre, où la suspension de l'incrédulité ne dépend jamais du réalisme des décors ni de la perfection des illusions créées? Welles jette ainsi quelques châteaux de carton-pâte sur ses arrières plans et shoote la quasi-totalité du film en contreplongée, plaçant d'emblée le spectateur "en contrebas" dans une psycho-géographie théâtrale: de cette position avantageuse, ses interprètes donnent l'illusion de dominer la salle de cinéma. Le dénuement de l'environnement, recentrant l'intérêt du spectateur sur le drame et les personnages, fait de ce "Macbeth" une sorte d'ancêtre du "Dogville" de Lars Von Trier, qui radicalisait ce principe au point de nous demander de voir quelque chose là où il n'y avait rien. Mais cet acte quasi-divin de pure création n'est-il pas précisément l'essence de l'art dramatique, tout entière résumée dans le génie du bateleur qui savait en quelques minutes faire jaillir un univers de sa roulotte avec pour tout théâtre une place publique? Pareillement, Welles résume ses décors à l'essentiel, se préoccupant davantage de leur impact dramatique que de leur crédibilité en termes de réalisme - citons ce plan saisissant où Macbeth embrasse son épouse sur fond de gibets - et stylise l'ensemble de la plus singulière façon. Les intérieurs se réduisent ainsi la plupart du temps à un dédale évoquant plus volontiers des cavernes que les corridors d'un château, parcourus par des personnages vêtus de peaux de bêtes ayant tout de troglodytes. Cette esthétique "primitiviste" est le prolongement naturel de la séquence d'ouverture du générique, où l'on voit les célèbres sorcières se livrer à une cérémonie vaudou dans les règles, façonnant une figurine de glaise à l'effigie du héros, et se conclut logiquement par un plan digne d'un film d'horreur nous montrant la poupée brutalement décapitée au moment où la lame de Macduff atteint le cou de Macbeth lors du duel final.

Cette curieuse manière de mettre en scène l'argument central de la pièce - Macbeth en tant que marionnette entre les mains d'augures trompeurs - qui ramène son rapport au destin à une possession pure et simple est des plus inédites. À travers la vision de Welles, l'obsession d'un pouvoir nécessairement fantasmatique (puisque les augures sont trompeurs) ravale littéralement Macbeth au rang d'homme des cavernes et on retrouve, exposée d'une manière extrêmement personnelle cette "morale" essentielle de l'oeuvre originale, à savoir que la soumission à un déterminisme quel qu'il soit ne saurait que sonner le glas de la liberté, et partant de l'humanité du sujet. Ainsi Macbeth, s'empêtrant dans un tel déterminisme qui s'incarne dans une longue concaténation de crimes qu'il veut bien se représenter comme inévitables, se définit comme l'ancêtre de l'un de ces héros de série noire qu'affectionne Welles et qui ont donné lieu à des chefs-d'oeuvre aussi définitifs que "La Dame de Shanghai" ou encore "La Soif du Mal", dans lequel l'infâme et sublime Quinlan ressemble étrangement à un moderne avatar de Macbeth, de même d'ailleurs que l'inquiétant "Mr Arkadin"- autant de personnages brillamment interprétés par Welles lui-même, et entretenant un rapport biaisé avec un pouvoir d'ordre fantasmatique (à ce propos, ce n'est pas un hasard si l'une des adaptations les plus magistrales du cinéaste n'est autre que "Le Procès" de Kafka) qui les entraîne dans une fuite en avant aux conséquences fatales.

En dépit du fait que ce "Macbeth" s'avère, du fait d'une conception douloureuse et chaotique, un semi-échec en regard d'une filmographie où les chefs-d'oeuvres abondent, il n'en demeure pas moins une oeuvre indéniablement représentative des obsessions de Welles et de sa profonde originalité d'auteur et de metteur en scène. Dans l'absolu, je suis sûr qu'il existe de nombreux réalisateurs prêts à donner un bras pour réaliser un pareil ratage! Bref: à voir impérativement, d'autant plus que depuis 1982, l'oeuvre a été restaurée dans sa version intégrale de 1h47.

Note:

(1): Parmi les faiblesses les plus évidentes du film: Welles joua son personnage en imitant l'accent écossais, ce qui divertit beaucoup le public britannique!

Cliquez sur le lien pour voir un extrait:

http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces=8581.html

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Macbeth: une parodie de Statue de la Liberté dans une atmosphère de film d'horreur

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Des acteurs vêtus de peaux de bêtes sur fond de carton-pâte

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Une longue suite de crimes

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Un monde de troglodytes païens

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Le visage de la folie

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Lady Macbeth: démon tentateur et mauvaise conscience de son époux

 

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Commentaires
E
Merci de tes visites.Te voilà en lien ce sera plus simple.Mon avis sur Macbeth,le même que toi,à,peu près sur Les titans 19 octobre 2006.
C
Quelle belle manière de voir Alzheimer.<br /> Si ce n'est que cette saloperie ne se contente pas d'affecter ce genre de mémoire. :-(<br /> <br /> Pour ce qui est de ta généreuse proposition, c'est volontiers que je l'accepte!<br /> Je ne regarde pas souvent le programme télévisé, ou plus précisément je ne le décortique en recherchant ce qui serait susceptible de m'intéresser.<br /> Alors si tu repères un chef d'oeuvre de Welles, n'hésite pas!<br /> Même si c'est "Citizen Kane". Le revoir ne sera certainement pas pour me déplaire (oui, je ne suis pas entièrement vierge tout de même ;-) ).
P
Je viens d'avoir une idée: je vais laisser des instructions à ma famille, au cas où je choperai un Alzheimer sur mes vieux jours: je vais leur demander de placer à proximité de ma vieille carcasse les oeuvres que je souhaiterais avoir oubliées rien que pour avoir ad libidum le plaisir de les redécouvrir!<br /> C'est pas une bonne idée, ça?<br /> C'est vrai, quoi, faut positiver!
P
Mon cher Céd, sache que je tiens Welles pour le plus grand cinéaste de tous les temps. J'ai vu chacun de ses films un nombre incalculable de fois, et je m'en lasse pas. Même ses oeuvres mineures sont fascinantes. C'est pourquoi je ne saurais que te recommander de le mettre en tête de ta fameuse liste (j'en ai une aussi dans le même genre dans ma tête, mais je ne la consulte pas trop souvent car ça me fout trop les boules!).<br /> Inversement, il y a des jours où j'envie la virginité des gens qui n'ont jamais vu un film de Welles: je suis jaloux de la claque qu'il vont prendre le jour où il vont découvrir "Citizen Kane", "La Dame de Shanghaï", "La Soif du Mal", "Mr Arkadin", et tant d'autres... J'éprouve la même sensation avec Alan Moore ou Corto Maltese: j'aimerai pouvoir tout oublier de ce que j'ai lu / vu pour pouvoir éprouver à nouveau la sensation indescriptible que j'ai ressentie lors de mon premier contact avec leurs oeuvres... Il y a des films de Welles que tu n'as pas vues? Eh bien je t'envie, mon bon Céd, je t'envie!<br /> Bon on va faire comme ça: je t'envoie un mail dès que je repère un Welles sur le programme télé, OK?
C
"fait de ce "Macbeth" une sorte d'ancêtre du "Dogville" de Lars Von Trier"<br /> <br /> Amusant, je pensais justement à ce rapprochement en te lisant.<br /> <br /> "concaténation"<br /> <br /> Hou! Tu m'obliges à chercher dans un dictionnaire là. ;-))<br /> <br /> Cette critique relevant les qualités et défauts du film donne bien envie de le voir.<br /> Et plus largement, de regarder l'oeuvre de Welles qui le mérite assurément.<br /> Un auteur à part, que ce soit à son époque ou de nos jours.<br /> Encore un des grands, un des "classiques", pour lequel il me faudra consacrer un peu de temps.<br /> Je devrais commencer à écrire sur un carnet tout ce que je devrais faire/voir/lire/écouter...<br /> On a combien de vies en tout pour combler nos lacunes? ;-)<br /> <br /> P.S.: Le nom même de Macbeth me rappelle un épisode de Black Adder. Dès que le nom était prononcé, deux comédiens hurlaient et accomplissaient une sorte de petit rituel pour conjurer le sort.<br /> On s'en amuse encore avec mon frère. ;-)
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