Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
patchworkman's blog
19 mars 2007

HANNIBAL LECTER: LES ORIGINES DU MAL (film)

Sortie en salles

HANNIBAL LECTER: LES ORIGINES DU MAL

(Hannibal Rising)

de Peter Webber (2006)

aff

Voilà l'un des films les plus attendus de l'année. Les producteurs ont mis le paquet: commande auprès de Thomas Harris d'un roman "préquelle" sur les origines du monstre (bien que la chose ait été explicitement annoncée à l'occasion de quelques flash-back dans "Hannibal", le troisième roman du cycle), écriture quasi simultanée du livre et du script (ce dernier étant confié à l'auteur en personne), sorties en salles et en librairies pareillement coïncidentes, etc, etc... Bref, cette histoire sent méchamment la stratégie marketing planifiée de longue date avec l'aval d'un Thomas Harris plus que complaisant... Par le fait, on n'est plus aujourd'hui dans le contexte que connut Jonathan Demme lorsqu'il réalisa son mémorable "Silence des Agneaux", puisque ce fut cette adaptation magistrale qui fit d'Hannibal une star et un véritable mythe moderne. Résultat logique: devenu bankable, notre cannibale préféré ne tarda pas à se faire limer les crocs afin de voir son public élargi. Déjà, avec l'adaptation d'"Hannibal", le visuel très glauque et sans concession du film de Demme faisait place à la réalisation esthétisante et chichiteuse de Ridley Scott, auquel on saura gré de nous avoir conservé la violence graphique, alors qu'on ne pardonnera pas la trahison ignoble et totalement illogique de l'épilogue d'un script pourtant écrit par David Mamet, derrière lequel on sent la patte lourdasse et mercantile du marchand de soupe qu'est devenu Dino de Laurentiis, soucieux de ne pas s'aliéner les ligues de vertu - c'est mauvais pour les affaires! Le pire fut atteint avec "Dragon Rouge", catastrophe réalisée - si on peut dire! - par l'analphabète manchot Brett Ratner, avec un Anthony Hopkins cabotin et un Edward Norton transparent, loin de nous faire oublier la performance du génial William Petersen qui tenait le même rôle dans "Le Sixième Sens" de Michael Mann. Force est dont de reconnaître que, victime du succès amplement mérité du "Silence des Agneaux" - comme par hasard le seul film de la saga non produit par de Laurentiis! - la créature échappe de plus en plus à son créateur, confisquée par un mogul vénal pour être exposée à la Fête à Neuneu, tels King Kong ou Elephant Man, et il y a fort à parier que si les choses continuent à ce train, l'on verra bientôt à Disneyland des mioches grassouillets arborer le masque d'Hannibal sous l'oeil attendri de leurs géniteurs WASP!

Je vous rassure tout de suite: "Hannibal Lecter: Les Origines du Mal" n'est pas un film franchement mauvais, bien supérieur en tous cas à l'infâme "Dragon Rouge" (à l'impossible, nul n'est tenu!) quoique nettement moins captivant qu'"Hannibal". La mise en scène de Peter Webber, auquel on doit "La jeune Fille à la Perle" (biopic sur Vermeer) et dont on attend le "Barbarella", est assez classieuse et fort bien photographiée, et l'interprétation tient la route, le frenchy Gaspard Ulliel nous offrant une prestation solide avec sa gueule tout en rictus, ses sourires carnassiers et sa froideur secouée de tics maxillaires. Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, c'est du script de Harris que provient toute la faiblesse du film. Toute la première partie du roman, concernant l'enfance d'Hannibal mais surtout la genèse du trauma, est expédiée en une poignée de plans et par-dessus la jambe, à tel point que l'on a l'impression de voir un résumé des épisodes précédents. Ne prenant pas la peine de s'attarder sur les horreurs subies ni de leur conférer une quelconque intensité, que ce soit en termes de visuel (édulcoré à l'extrême) ou d'un point de vue plus psychologique, rien ne nous est dit sur l'avènement de cet esprit si brillant et si particulier qui est celui d'Hannibal, et ce traitement quasi télégraphique des "origines du mal" (précisément!) va lourdement handicaper tout le reste du métrage, dont la majeure partie se concentre sur la vengeance proprement dite. Or, rien ne distingue telle vengeance de telle autre, sauf peut-être les raisons pour lesquelles on l'exerce, et qui se doivent d'être à la mesure de son intensité. Du soin apporté à l'exposé des motifs dépend l'identification du spectateur au personnage vindicatif, et il est navrant de constater que tous ces éléments sont ici traités avec une telle désinvolture que l'on reste irrémédiablement extérieur aux vicissitudes hannibaliennes - pour ne pas dire que l'on s'en fout carrément! - tant ces images télescopées sont exemptes de toute teneur psychologique. En conséquence, nous restons tout au long du film également indifférents à la vengeance d'Hannibal, et nous ne ressentons à aucun moment cette empathie perverse et culpabilisante qui faisait toute la force du roman. Ainsi, lorsque surgit a posteriori la terrible révélation qu'Hannibal arrache à son propre refoulé, il est trop tard, et celle-ci, pourtant censée être le pivot de l'histoire, fait l'effet d'un pétard mouillé et échoue à nous impliquer dans la quête du personnage.

À ce déséquilibre structurel flagrant du script vient s'ajouter l'édulcoration de la violence graphique, dans des buts évidents d'élargissement du public à un niveau le plus "mainstream" possible et ça, c'est la pire chose qu'il pouvait arriver à la franchise - après Brett Ratner, évidemment! Ah il est loin, le temps où l'on dégustait des cervelles à la coque! Entendons-nous bien: mon propos n'est pas ici de me faire le chantre d'un quelconque gore complaisant et gratuit, mais il est des cas où une violence explicite s'avère incontournable et Hannibal est de ceux-ci, j'en ai bien peur... Lors d'une master-class (1) donnée à Cannes à l'occasion de sa Présidence, le grand David Cronenberg (loué soyez-vous, ô Maitre vénéré!), orfèvre en la matière et qui ne crache pas non plus sur le gore, donnait cette définition de l'expressionnisme: il s'agit de projeter à l'extérieur l'intériorité des personnages, puisqu'on ne peut pas la filmer. Ainsi, la psychologie du héros expressionniste s'exprimera par le décor, le jeu des ombres et de la lumière, la gestuelle des acteurs, voire, accessoirement, par une certaine violence graphique. Les descriptions minutieuses que donne dans ses romans Thomas Harris des mutilations infligées par Hannibal constituent en fait le paradigme de sa psychologie si insaisissable: seule une horreur outrancière, voire grand-guignolesque (je vous renvoie une fois de plus à la séquence de la cervelle!) peut constituer un signe acceptable de la psychologie hannibalienne, et de l'intensité de la trangression qu'elle opère. Je l'ai déjà dit par ailleurs, Hannibal n'est pas le tout-venant du serial-killer moderne, mais a bel et bien été pensé comme un absolu de la déviance meurtrière! Ainsi, on déplorera que cette violence si significative se trouve ici réduite à ce que l'on a pu voir dans les slashers pour ados à la "Scream". Pire: on a l'impression tenace que Webber, cantonné ici à un statut indigne de yes-man, filme l'exécution des méchants du bout des lèvres, reléguant tout ce qu'il peut hors-champ, montrant les choses à contrecoeur lorsqu'il ne peut pas faire autrement, et affaiblissant par là même son Hannibal à tel point que l'on finit par ne plus le distinguer de la longue cohorte des vengeurs que le cinéma nous a présentés depuis sa naissance! Ainsi, les meurtres successifs qui jalonnent la vengeance d'Hannibal, et qui auraient dû être traités comme autant de climax intenses, sont ici expédiés en quelques plans anodins montés de façon serrée et chaotique, si bien qu'ils se trouvent vidés de toute substance et de toute signification. Bref, l'univers dans lequel évolue Hannibal, personnage expressionniste par essence, ne dit rien de lui et de sa complexe psychologie, ce qui est tout de même un comble! On ne s'étonnera donc pas d'avoir au final un film plat, sans relief ni profondeur, se reposant sur des acteurs qui font ce qu'ils peuvent mais ne parviennent pas à rattraper un script insignifiant et des contraintes commerciales incompatibles avec le sujet même de l'entreprise, et qui se résume à une histoire de vengeance des plus triviales, comme on en a vu (et oublié) des centaines.

Un film qui n'exprime rien.

Note:

(1): Voir les bonus du double DVD "Spider".

Cliquez sur le lien pour voir la bande-annonce:

http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces=54737.html

sang

Rien de tel qu'un bon repas!

sabres

D'abord, apprendre à débiter le steak!

boucher

À boucher, boucher et demi (bientôt demi-boucher!)

faucille

Hannibal, il en veut grave aux cocos!

couteau

Allo, Pinel? Ne coupez pas!

corde

Va pas tarder à tomber des cordes!

Publicité
Publicité
Commentaires
P
Effectivement, comme j'ai pu le faire remarquer dans ma chronique sur le roman, un épisode sur les origines d'Hannibal n'était pas une si bonne idée que ça... On a l'impression d'assister au plaidoyer d'un avocat (du diable!), genre: ouais d'accord il est très méchant et il a fait des choses horribles, mais c'est parce qu'il a eu une enfance malheureuse... <br /> Si l'expérience prouve que c'est une constante chez tous les serial-killers, en revanche, dans le cas (littéraire) qui nous préoccupe, non seulement cette info n'était pas indispensable, mais en plus elle s'avère contre-productive. En effet, un personnage qui a un telle potentialité transgressive (et politiquement très incorrecte) n'a nul besoin qu'on lui invente des circonstances atténuantes, sauf à vouloir à tous crins le rendre plus acceptable aux yeux du grand public (et donc plus politiquement correct). Inutile de préciser à quel point ce ensemble de "justifications" nuit à l'extrême originalité du personnage tel que décrit dans les trois premiers romans. En humanisant Hannibal (n'importe qui désormais peut s'y identifier - voir ci-dessus le commentaire de l'amie Exorcista - et te dire: "si on m'avait fait ce qu'on lui a fait, moi aussi j'aurais fait un carnage!"), on le fait descendre de son piédestal d' incarnation du mal absolu, on tue irrémédiablement son mystère, qui réside principalement dans son amoralité (paradoxe de la notion d'"esthète du crime" - on songe à Thomas de Quincey) en même temps que l'on banalise un personnage originellement pensé comme un absolu et qui jusque là reléguait dans le bac à sable tout ce qu'on avait pu voir jusqu'ici en matière de "génies du crime" tant dans la littérature que dans le cinéma.<br /> Fuck la morale: Hannibal n'avait nullement besoin de tout ce prêchi-prêcha, je le préférais nettement à l'époque où il disséquait les moralisateurs (tant physiquement que psychologiquement d'ailleurs) sans avoir à donner de bonnes raisons. De plus, son statut de psychiatre suffit à démontrer qu'il est parfaitement conscient de la portée transgressive de ses actes (absolument assumés, sans l'ombre d'une quelconque mauvaise conscience), et n'a donc aucun besoin de se justifier.<br /> En un mot comme en cent, ces "Origines du Mal" constituent pour un Harris soudainement et inexplicablement honteux une sorte de "reniement de Saint-Pierre". <br /> D'ailleurs, peut-être me trompé-je, mais je ne pense pas qu'après ça, il y aura un cinquième volume d'"Hannibal" et, si c'est néanmoins le cas, on peut parier qu'il n'aura pas la portée transgressive de la trilogie originelle...
E
Purée, y'en marre de ces films qui reviennent aux origines!<br /> En plus, le film n'apporte pas gd chose à la saga si ce n'est cette histoire banale de vengeance!<br /> C'est décidé, je zappe!
P
Non, je n'ai malheureusement pas lu "Grendel" - bien qu'adorant Matt Wagner.<br /> Par conséquent, désolé, je ne saurais avoir un avis sur la question...
S
je ne sais pas si tu connais le comic-book de Matt Wagner 'Grendel', mais le fait que ce soit justement si edulcoré , et que les personnages se ressemblent tellement dans leurs origines ,me fait penser que Gaspard Ulliel aurait plus détonné avec le rôle de Hunter Rose et qu'on est passé à côté non pas d'un film sensationnel mais de deux...
P
Tout d'abord bienvenue sur ce blog, où j'espère te retrouver bientôt, nonobstant tes propos quelque peu polémiques: mais tant mieux, ça fait du bien de dialoguer avec des gens d'un <br /> avis différent.<br /> Je vais essayer de te répondre point par point.<br /> Si je te suis bien, le spectateur devrait s'abstenir de toute critique s'il n'est pas lui-même pratiquant. <br /> Première remarque: un spectateur dénué de tout esprit critique (ou qui ne le met pas en application, ce qui revient au même) se ramène à un spectateur passif, prêt à ingurgiter sans rien dire tout ce qu'on lui met sous le nez. Exemple: j'ai perdu deux heures et sept euros à bâiller devant "Ghost Rider" (que tu qualifies toi-même de nul dans un autre de tes coms) et je devrais fermer ma gueule, c'est bien ça? Autre exemple: je vais au resto et on me sert une bouffe dégueulasse. Or, je ne suis pas cuisinier. Du coup, j'avale la merde qu'on me sert en serrant les dents, je me laisse escroquer en silence et je m'abstiens de dire son fait au salopard qui essaie de m'empoisonner? Inversement (car contrairement à une opinion hélas trop répandue, la critique peut tout aussi bien être un réquisitoire qu'une plaidoirie, voire se situer entre les deux à des degrés divers) il faudrait que je m'abstienne de crier sur tous les toits que Kubrick et Welles sont des génies, ou de complimenter le chef qui vient de me servir un mets succulent? Désolé de te décevoir, mais je ne suis pas un tel spectateur. En revanche, excuse-moi si je suis un peu rude, mais cela me paraît être la parfaite définition du spectateur de TF1!<br /> <br /> Deuxième remarque: d'après ce que j'ai cru comprendre, la seule critique légitime ne saurait émaner que des spécialistes pratiquants. Je crains fort quant à moi qu'un tel état de fait, s'il était effectivement mis en pratique, ne débouche sur un corporatisme de "professionnels de la profession", du style: "je ne casse pas ton film, mais tu ne casses pas le mien" - surtout si la recette du dernier "Bronzés" sert à financer un autre projet plus "art et essai". Bref, tout le monde il est beau, est-ce que c'est vraiment ce que tu veux entendre? Si c'est le cas, ça se fait tous les soirs cher Ruquier, où l'on voit régulièrement les fameux professionnels de la profession se passer la pommade à qui tartinera le mieux! Le plus étonnant: eux seuls ont le droit de critiquer et personne ne critique. Donc, faut bien que les pauvres blogueurs s'en chargent!<br /> <br /> En revanche, on aurait le droit de "donner un point de vue". Le point de vue, c'est je suppose la façon dont je peux voir les choses de l'endroit d'où je suis placé. Soit: ma propre subjectivité. Par le fait, il faudrait donc à chaque fois que j'écris une phrase que je précise qu'il s'agit de mon propre avis qui m'appartient personnellement en propre de façon absolument subjective? Il m'avait pourtant semblé que c'était implicite... Mais il se peut aussi que je change de point de vue et que j'examine mon sujet sous un éclairage et un angle différent... Diantre, voilà qui complique singulièrement les choses!<br /> <br /> Pour ce qui est de la psychologie d'Hannibal, je suis bien d'accord avec toi: les mecs il lui ont manqué de respect (si lui faire bouffer sa petite soeur c'est pas un manque de respect alors qu'est-ce qui l'est, je vous le demande?), alors du coup il leur éclate la tronche et il a bien raison, non mais des fois!!! D'ailleurs, il est tout à fait anormal qu'on ait aboli la peine de mort qui était un acte tout à fait normal, mais là encore: la norme n'est qu'une question de point de vue... Ca tombe bien, on m'a justement donné le droit de donner le mien!
patchworkman's blog
  • Ce blog concerne tous les fans de fantastique sous toutes ses formes et dans tous les arts: cinéma, télé, littérature, BD, comics, etc... Vous y trouverez mon actualité de fantasticophile au jour le jour, ce que j'ai vu, lu, aimé, détesté, etc...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité