HANNIBAL LECTER: LES ORIGINES DU MAL (film)
Sortie en salles
HANNIBAL LECTER: LES ORIGINES DU MAL
(Hannibal Rising)
de Peter Webber (2006)
Voilà l'un des films les plus attendus de l'année. Les producteurs ont mis le paquet: commande auprès de Thomas Harris d'un roman "préquelle" sur les origines du monstre (bien que la chose ait été explicitement annoncée à l'occasion de quelques flash-back dans "Hannibal", le troisième roman du cycle), écriture quasi simultanée du livre et du script (ce dernier étant confié à l'auteur en personne), sorties en salles et en librairies pareillement coïncidentes, etc, etc... Bref, cette histoire sent méchamment la stratégie marketing planifiée de longue date avec l'aval d'un Thomas Harris plus que complaisant... Par le fait, on n'est plus aujourd'hui dans le contexte que connut Jonathan Demme lorsqu'il réalisa son mémorable "Silence des Agneaux", puisque ce fut cette adaptation magistrale qui fit d'Hannibal une star et un véritable mythe moderne. Résultat logique: devenu bankable, notre cannibale préféré ne tarda pas à se faire limer les crocs afin de voir son public élargi. Déjà, avec l'adaptation d'"Hannibal", le visuel très glauque et sans concession du film de Demme faisait place à la réalisation esthétisante et chichiteuse de Ridley Scott, auquel on saura gré de nous avoir conservé la violence graphique, alors qu'on ne pardonnera pas la trahison ignoble et totalement illogique de l'épilogue d'un script pourtant écrit par David Mamet, derrière lequel on sent la patte lourdasse et mercantile du marchand de soupe qu'est devenu Dino de Laurentiis, soucieux de ne pas s'aliéner les ligues de vertu - c'est mauvais pour les affaires! Le pire fut atteint avec "Dragon Rouge", catastrophe réalisée - si on peut dire! - par l'analphabète manchot Brett Ratner, avec un Anthony Hopkins cabotin et un Edward Norton transparent, loin de nous faire oublier la performance du génial William Petersen qui tenait le même rôle dans "Le Sixième Sens" de Michael Mann. Force est dont de reconnaître que, victime du succès amplement mérité du "Silence des Agneaux" - comme par hasard le seul film de la saga non produit par de Laurentiis! - la créature échappe de plus en plus à son créateur, confisquée par un mogul vénal pour être exposée à la Fête à Neuneu, tels King Kong ou Elephant Man, et il y a fort à parier que si les choses continuent à ce train, l'on verra bientôt à Disneyland des mioches grassouillets arborer le masque d'Hannibal sous l'oeil attendri de leurs géniteurs WASP!
Je vous rassure tout de suite: "Hannibal Lecter: Les Origines du Mal" n'est pas un film franchement mauvais, bien supérieur en tous cas à l'infâme "Dragon Rouge" (à l'impossible, nul n'est tenu!) quoique nettement moins captivant qu'"Hannibal". La mise en scène de Peter Webber, auquel on doit "La jeune Fille à la Perle" (biopic sur Vermeer) et dont on attend le "Barbarella", est assez classieuse et fort bien photographiée, et l'interprétation tient la route, le frenchy Gaspard Ulliel nous offrant une prestation solide avec sa gueule tout en rictus, ses sourires carnassiers et sa froideur secouée de tics maxillaires. Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, c'est du script de Harris que provient toute la faiblesse du film. Toute la première partie du roman, concernant l'enfance d'Hannibal mais surtout la genèse du trauma, est expédiée en une poignée de plans et par-dessus la jambe, à tel point que l'on a l'impression de voir un résumé des épisodes précédents. Ne prenant pas la peine de s'attarder sur les horreurs subies ni de leur conférer une quelconque intensité, que ce soit en termes de visuel (édulcoré à l'extrême) ou d'un point de vue plus psychologique, rien ne nous est dit sur l'avènement de cet esprit si brillant et si particulier qui est celui d'Hannibal, et ce traitement quasi télégraphique des "origines du mal" (précisément!) va lourdement handicaper tout le reste du métrage, dont la majeure partie se concentre sur la vengeance proprement dite. Or, rien ne distingue telle vengeance de telle autre, sauf peut-être les raisons pour lesquelles on l'exerce, et qui se doivent d'être à la mesure de son intensité. Du soin apporté à l'exposé des motifs dépend l'identification du spectateur au personnage vindicatif, et il est navrant de constater que tous ces éléments sont ici traités avec une telle désinvolture que l'on reste irrémédiablement extérieur aux vicissitudes hannibaliennes - pour ne pas dire que l'on s'en fout carrément! - tant ces images télescopées sont exemptes de toute teneur psychologique. En conséquence, nous restons tout au long du film également indifférents à la vengeance d'Hannibal, et nous ne ressentons à aucun moment cette empathie perverse et culpabilisante qui faisait toute la force du roman. Ainsi, lorsque surgit a posteriori la terrible révélation qu'Hannibal arrache à son propre refoulé, il est trop tard, et celle-ci, pourtant censée être le pivot de l'histoire, fait l'effet d'un pétard mouillé et échoue à nous impliquer dans la quête du personnage.
À ce déséquilibre structurel flagrant du script vient s'ajouter l'édulcoration de la violence graphique, dans des buts évidents d'élargissement du public à un niveau le plus "mainstream" possible et ça, c'est la pire chose qu'il pouvait arriver à la franchise - après Brett Ratner, évidemment! Ah il est loin, le temps où l'on dégustait des cervelles à la coque! Entendons-nous bien: mon propos n'est pas ici de me faire le chantre d'un quelconque gore complaisant et gratuit, mais il est des cas où une violence explicite s'avère incontournable et Hannibal est de ceux-ci, j'en ai bien peur... Lors d'une master-class (1) donnée à Cannes à l'occasion de sa Présidence, le grand David Cronenberg (loué soyez-vous, ô Maitre vénéré!), orfèvre en la matière et qui ne crache pas non plus sur le gore, donnait cette définition de l'expressionnisme: il s'agit de projeter à l'extérieur l'intériorité des personnages, puisqu'on ne peut pas la filmer. Ainsi, la psychologie du héros expressionniste s'exprimera par le décor, le jeu des ombres et de la lumière, la gestuelle des acteurs, voire, accessoirement, par une certaine violence graphique. Les descriptions minutieuses que donne dans ses romans Thomas Harris des mutilations infligées par Hannibal constituent en fait le paradigme de sa psychologie si insaisissable: seule une horreur outrancière, voire grand-guignolesque (je vous renvoie une fois de plus à la séquence de la cervelle!) peut constituer un signe acceptable de la psychologie hannibalienne, et de l'intensité de la trangression qu'elle opère. Je l'ai déjà dit par ailleurs, Hannibal n'est pas le tout-venant du serial-killer moderne, mais a bel et bien été pensé comme un absolu de la déviance meurtrière! Ainsi, on déplorera que cette violence si significative se trouve ici réduite à ce que l'on a pu voir dans les slashers pour ados à la "Scream". Pire: on a l'impression tenace que Webber, cantonné ici à un statut indigne de yes-man, filme l'exécution des méchants du bout des lèvres, reléguant tout ce qu'il peut hors-champ, montrant les choses à contrecoeur lorsqu'il ne peut pas faire autrement, et affaiblissant par là même son Hannibal à tel point que l'on finit par ne plus le distinguer de la longue cohorte des vengeurs que le cinéma nous a présentés depuis sa naissance! Ainsi, les meurtres successifs qui jalonnent la vengeance d'Hannibal, et qui auraient dû être traités comme autant de climax intenses, sont ici expédiés en quelques plans anodins montés de façon serrée et chaotique, si bien qu'ils se trouvent vidés de toute substance et de toute signification. Bref, l'univers dans lequel évolue Hannibal, personnage expressionniste par essence, ne dit rien de lui et de sa complexe psychologie, ce qui est tout de même un comble! On ne s'étonnera donc pas d'avoir au final un film plat, sans relief ni profondeur, se reposant sur des acteurs qui font ce qu'ils peuvent mais ne parviennent pas à rattraper un script insignifiant et des contraintes commerciales incompatibles avec le sujet même de l'entreprise, et qui se résume à une histoire de vengeance des plus triviales, comme on en a vu (et oublié) des centaines.
Un film qui n'exprime rien.
Note:
(1): Voir les bonus du double DVD "Spider".
Cliquez sur le lien pour voir la bande-annonce:
http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces=54737.html
Rien de tel qu'un bon repas!
D'abord, apprendre à débiter le steak!
À boucher, boucher et demi (bientôt demi-boucher!)
Hannibal, il en veut grave aux cocos!
Allo, Pinel? Ne coupez pas!
Va pas tarder à tomber des cordes!