Les démons de la nuit
DVD
LES DÉMONS DE LA NUIT (Shock)
de Mario Bava (1977)
Si l'on excepte le téléfilm "La Venere d'Ille" (1978), d'après la nouvelle de Mérimée, et le posthume "Les Chiens enragés", tourné en 1974 mais qui ne sortira que bien plus tard suite à un embrouillamini juridique, "Shock" (baptisé "Les Démons de la Nuit" lors de sa sortie française, mais plus connu sous son titre original en VHS et DVD) est le dernier opus de Mario Bava. Une rumeur insistante veut que le film soit l'oeuvre non créditée de son fils Lamberto, qui occupait le poste d'assistant-réalisateur, et qui aurait remplacé Bava, malade et très affaibli, sur le tournage. Bien que le fiston ait toujours nié ces allégations et attesté que "Shock" était un film de Mario Bava à part entière, la rumeur n'en persista pas moins, ne voyant dans ces dénégations que fausse modestie et piété filiale. Dans ce débat, chacun se positionnera comme il l'entend mais, en ce qui me concerne, j'ai du mal à voir dans "Shock" une oeuvre de Lamberto Bava. La raison en est que, tout bis qu'il soit, il s'agit d'un sacré bon film, et que je ne trouve rien dans la lamentable filmographie de Lamberto qui lui soit comparable de près ou de loin d'un point de vue qualitatif. Si, esthétiquement parlant, Mario Bava a un fils, il s'agit bien entendu de Dario Argento, c'est une évidence. Ce qu'il a appris de son père spirituel, notamment en matière de giallo, le disciple le transcende brillamment en 1975 avec "Les Frissons de l'Angoisse", qui constitue non seulement son chef-d'oeuvre absolu, mais peut-être aussi le plus grand giallo jamais tourné. Or, si "Shock" s'éloigne du giallo par son thème strictement fantastique (hantise et possession), il reste en revanche ancré dans le genre par le traitement qu'il en donne. Tout dans le visuel du film renvoie au giallo en général, et en particulier aux "Frissons de l'Angoisse", dont il est visible que les producteurs de "Shock" ont cherché à exploiter le succès. Quant à Mario Bava, il remplit le cahier des charges avec le talent et l'application qu'on lui a toujours connues, en bon artisan trop modeste pour avoir fait carrière. Dès lors, pourquoi grands dieux chercher la patte maladroite de Lamberto Bava derrière des images sur lesquelles plane si ostensiblement l'ombre d'Argento? Dire que "Shock" plagie "Les Frissons de l'Angoisse" serait abusif, les scénarii des deux films n'ayant strictement rien en commun. Mais il n'en demeure pas moins qu'il ne se passe pas une minute de "Shock" qui ne renvoie au chef-d'oeuvre d'Argento, comme dans une sorte d'hommage permanent. L'élément le plus évident est bien sûr la présence de Daria Nicolodi, épouse d'Argento à l'époque et sorte d'archétype de la "femme argentienne", en têtes d'affiches des deux films. Mais on remarquera également un certain nombre de ces colifichets macabres qui participent de l'ambiance si particulière des "Frissons de l'Angoisse", tels ces dessins d'enfant où le trait naïf contraste violemment avec la cruauté des scènes représentées, ou encore ces ribambelles inquiétantes, en peluche chez Bava et en papier chez Argento - décapitées avec délectation par les mains gantées de l'assassin. Et ainsi de suite, jusqu'à la musique du groupe Libra qui met un point d'honneur à sonner plus Goblin que nature. Bref, tout se passe comme si on avait ignoré la thématique constitutive du giallo pour n'en conserver que la forme, afin de replaquer celle-ci sur un film de fantômes, et déboucher de la sorte sur un hybride dont la tonalité inhabituelle est pour le moins curieuse, pour ne pas dire inédite. Plus insolite encore, le cahier des charges de Bava, qui consiste comme on l'a vu à reproduire le style des "Frissons de l'Angoisse", aboutit à cette situation singulière dans laquelle le maître s'inspire de l'élève qui l'a dépassé, et pour qui il fut lui-même source d'inspiration, comme en témoigne la fameuse "trilogie animalière" d'Argento. En effet, ce triptyque de gialli constitue pour ce dernier un galop d'essai où il affine son style si particulier avant que de nous livrer le classique absolu et définitif du genre. Pour Mario Bava, inventeur incontesté des codes du giallo (voir: "La Femme qui en savait trop", "Six Femmes pour l'Assassin", "Il rosso Segno della Folia", "La Baie sanglante", "L'Île de l'Épouvante", etc...), "Shock" constitue en quelque sorte un étrange "retour sur investissement". En tous cas, ce chassé-croisé maître / élève donne naissance à un petit chef-d'oeuvre du bis italien. Le synopsis est des plus simples: après un long séjour en hôpital psychiatrique suite au suicide de son mari junkee, Dora revient habiter la maison où elle vécut avec celui-ci en compagnie de son fils et de son nouveau compagnon. Immédiatement, les événements insolites se succèdent, derrière lesquels Dora est amenée progressivement à voir la patte de son fils, qui multiplie les attentats contre elle au moyen des objets les plus familiers. Dès lors, nous sommes tiraillés entre deux interprétations: soit l'attitude maléfique du bambin est le fruit d'une tension oedipienne par rapport à Bruno, le compagnon de Dora, soit le mari défunt possède l'enfant et cherche par-delà la tombe à s'assurer l'exclusivité sur sa veuve. Le scénar, écrit à quatre mains, parmi lesquelles celles de Lamberto Bava et de l'incontournable Dardano Sacchetti, nous égare délicieusement en mettant tour à tour l'accent sur l'une ou l'autre des hypothèses. La tension monte encore d'un cran lorsque Dora commence à avoir des visions d'horreur, et l'on se demande si notre héroïne replonge dans une folie paranoïaque de type "polanskien", ou si elle est objectivement la victime d'un spectre malveillant. Là encore, le script et la mise en scène jouent habilement sur les deux tableaux, se gardant bien de nous apporter la réponse, repoussée jusqu'aux ultimes minutes du film. Rebondissant d'un mur à l'autre dans la maison, rasant le sol comme un rat sournois, s'attardant sur les bibelots les plus insignifiants qui se chargent soudain d'une lourde menace, errant le long des couloirs et des escaliers telle un courant d'air fantomatique, la caméra de Bava instaure un climat des plus vénéneux, relevé de saillies d'une cruauté surprenante (une lame de rasoir entre deux touches de piano!) et de scènes franchement perverses (le bambin allongé sur Dora dans un simulacre de coït). La tension grimpe ainsi inexorablement jusqu'au final, qui nous lance sur les pas de Dora, persécutée par une présence spectrale qui gagne à chaque seconde en effectivité, dans une poursuite interminable et riche en adrénaline au cours de laquelle Bava parvient à nous emballer le coeur et à nous faire sursauter désagréablement à diverses reprises, au moyen d'effets très simples mais magistralement amenés. Si vous m'en croyez, vous vous jetterez sans plus attendre sur ce DVD vendu avec le "Mad Movies" de Décembre pour la modique somme de 9,90 €. Merci les gars, pour cet ultime opus où le roi du bis italien tire sa révérence de façon inoubliable. Cliquez sur le lien pour voir la bande annonce: http://videodetective.com/default.asp?frame=http://videodetective.com/home.asp?PublishedID=790348 Daria planquée... Daria épouvantée... Daria palpée... Daria... hum... de dos! Un gamin maléfique... John Steiner: mauvaise pioche!